François Pagé, la couleur avant tout

Laurent Benoist Magazine de la Touraine

« Aucun Art n’est aussi peu spontané que le mien . Ce que je fais est le résultat de la réflexion et l’étude des grands Maîtres. »
Edgar Degas

Artiste peintre, François Pagé nous a ouvert les portes de son atelier à Chambray-lès-Tours, l’occasion de découvrir un artiste qui compose avec la couleur comme un musicien avec les notes.

C’est l’explosion de couleurs qui surprend avant tout le visiteur qui s’aventure dans l’atelier de François Pagé, face à l’hippodrome de Chambray. L’explosion de couleurs sur les toiles aux murs, bien sûr, rutilantes, scintillantes, éclatantes, mais aussi la verve colorée avec laquelle l’occupant des lieux parle de son travail. De son travail mais aussi de la peinture des autres, car le maître des lieux dégaine aussi facilement le verbe pour parler des œuvres de ceux qui l’enchantent que des siennes !

La peinture de François Pagé ne se réduit pas simplement à la surface de la toile. Elle est avant tout le fruit de son amour de l’art, des longues heures passées à contempler le travail de ses prédécesseurs, ainsi qu’à lire les ouvrages d’art, nombreux, qui s’empilent, cahin-caha, sur les étagères de son atelier. De fait, certains éléments de sa peinture appellent nécessairement la comparaison avec ses pères et ses pairs : on peut reconnaître, ici, le sens de la mise en scène de Leonardo Cremonini; ailleurs, on retrouve des nymphes, rescapées du dix-septième siècle, ou glissées d’un fragment de toile de Jouy. La citation a, chez François Pagé, droit de cité. Ce n’est pourtant pas la citation stérile, la copie servile : c’est au contraire, à la fois une manière d’hommage à tous ces grands maîtres qui jalonnent l’histoire de la peinture et aussi l’appropriation d’un vocabulaire de motifs, d’une grammaire des formes que l’artiste arrange ensuite à sa guise, au gré d’une approche de la peinture qui lui est intimement propre.

Construire par contrastes
Comprendre la peinture de François Pagé s’est aussi comprendre qu’elle est construite par contrastes et par strates : contrastes des textures entre les aplats lissés, soyeux et les parties plus tumultueuses où la peinture, rêche et rugueuse, contient des inclusions de sable, de poussière et d’autres éléments hétérogènes. Contrastes, également, entre les éléments parfaitement identifiables (ici un bosquet d’arbres ou un alignement de chaises longues, plus loin le drapé d’un rideau de scène) et les zones plus gestuelles, où la peinture s’épanche en toute liberté, oscillant entre matière tellurique et auréoles aquarellées. Contrastes enfin des couleurs et du jeu audacieux des complémentaires : l’incendie de l’orange brûlant est éteint par le froid de l’outremer, le vert le plus acidulé appelle la morsure de quelques touches parme. « Je possède à peu près toutes les teintes de couleurs de toutes les marques…et j’utilise aussi bien les gammes beaux-arts que la peinture pour les murs » ajoute, facétieusement, François Pagé. Chaque teinte, chaque nuance est ainsi soigneusement choisie en fonction de sa voisine et de son effet global sur la toile. La peinture est autant un travail d’artisan qu’une poursuite intellectuelle : si elle possède une émotion esthétique indéniable, elle doit aussi satisfaire les autres sens, être la porte de sortie (d’ouverture serait sans doute un terme plus juste !) vers un monde autre, fait d’émotions et de réflexions: la peinture de François Pagé se situe ainsi dans cette tradition de l’art français de « la peinture lettrée », qui passe par Nicolas Poussin et, plus proche de nous, Jean-Michel Alberola: « Oui, il y a une dimension métaphysique indéniable dans mes oeuvres; cette même dimension qui sépare par exemple Bonnard, de Vuillard ou de Vallotton. Les œuvres de ce premier, magnifiques, sont une tentative de saisir la lumière et de capturer la couleur, tandis que chez les deux derniers, il y a une volonté d’emmener l’esprit du spectateur ailleurs; je vois plus leurs tableaux comme des paysages de l’âme et c’est cet ailleurs que je cherche moi aussi à atteindre ».

Né en 1962, François Pagé grandit à Tours. Après l’Ecole du Louvre à Paris, il suit l’enseignement des Beaux-arts de Tours dont il sort diplômé en 1988. Il est nécessaire, afin de comprendre son engagement dans la peinture, de se restituer le contexte de la fin d’une époque qui ne jure alors que par la vidéo, l’installation et la performance. La peinture – qui est plus est figurative ! – est alors le parent pauvre, délaissée au profit d’autres formes d’expression jugées moins rétrogrades et moins dépassées. François creuse néanmoins sa trace, comme le pinceau creuse les empâtements sur la toile. Il le reconnaît, sa formation doit beaucoup à Jean Maillot, professeur aux Beaux-Arts et décorateur du Grand Théâtre de Tours : « j’ai travaillé avec lui pour des décors d’opéra et j’aimais beaucoup le sens scénique de sa peinture ». Depuis, il a exposé à maintes reprises en Touraine… et ailleurs : La galerie L’œil fertile en 1994, l’Hôtel Gouin en 2006, la galerie des Bons Enfants en 2007, la Médiathèque de la Riche en 2008, le Salon du Grand Format à Pussigny en 2009 et l’Espace Nobuyoshi dans le cadre de l’exposition de groupe XXART en 2010. Il est aujourd’hui représenté par la Galerie Brigitte Capy, à Hossegor et la Galerie du Parlement à Rennes (qui lui consacrera une exposition personnelle l’année prochaine). Il ouvre également son atelier chaque année dans le cadre du week-end Ateliers: Portes ouvertes, chaque octobre. A quand une exposition d’envergure sur Tours, qui lui rendrait hommage ?